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La famille Antinori : une renaissance viticole italienne hors du commun

La famille Antinori, issue d'une longue tradition viticole remontant à 1385, est aujourd'hui à la tête du plus grand domaine viticole privé en Italie. Malgré une concurrence féroce et les défis posés par le changement climatique, la famille a su se positionner sur la scène internationale en étendant son empire viticole.

Écrit par Pierre de Gasquet

Niccolo da Uzzano, un important membre de l'élite florentine, était hautement respecté, même par Machiavel. Son visage avec des lèvres pourpres et des pommettes saillantes reflétait à la fois la douceur et la fermeté de quelqu'un conscient de son propre pouvoir. Son buste, supposément créé par Donatello, est exposé au premier étage du palazzo Antinori à Florence, ce qui contraste avec l'aspect commercial de la rue Tornabuoni, la plus prospère de la ville.

Le marquis Antinori exprime sa préoccupation principale pour Florence, craignant qu'elle ne perde son identité en devenant un lieu commercial animé. Il se promène rapidement dans la cour de son magnifique palais de style renaissance, autrefois convoité par Laurent le Magnifique. La famille Antinori, qui a longtemps soutenu l'artiste Giovanni Della Robbia, a récemment annoncé son engagement financier pour la restauration du Ponte Vecchio, le plus ancien pont en pierre d'Europe construit en 1345. Ce geste symbolique vise à renforcer les liens historiques entre les Antinori, célèbres producteurs de vin, et la ville de Florence, associée à Dante et Machiavel.

A l'âge de 85 ans, le marquis Piero Antinori a décidé de passer le contrôle de son entreprise viticole à ses trois filles en 2026.

À l'âge de 85 ans, Piero Antinori maintient une routine bien établie. Bien qu'il ait officiellement passé les rênes à ses trois filles, Albiera, Allegra et Alessia, et à son oenologue de confiance, Renzo Cotarella, ce patriarche descendant des familles florentines soyeuses garde un œil attentif sur ses vignobles. Presque tous les matins, il quitte sa résidence de la via Tornabuoni pour se rendre aux chais de Bargino, situés au cœur du Chianti, entre Florence et Sienne. Ces chais ont été désignés en 2022 comme les "plus belles caves du monde" par 500 experts internationaux, après un investissement de plus de 100 millions d'euros. Cela a permis à l'entreprise de devenir un joyau mondial de l'oenotourisme.

Depuis 1385, la famille Antinori élabore et commercialise du vin, et possède un arbre généalogique bien établi.

Encore aujourd'hui, parfois il prend son hélicoptère avec un ami pilote pour inspecter ses vignobles en Ombrie ou dans les Pouilles, près de Brindisi. C'est là que la Xylella fastidiosa, une bactérie dangereuse pour les oliviers, s'est propagée il y a dix ans. Grâce à des efforts pour l'éradiquer, la plupart des oliveraies ont été sauvées. Cependant, le danger persiste, cette fois-ci avec la flavescence dorée, une maladie de la vigne transmise par un insecte, la cicadelle, qui sévit en Vénétie.

Découverte en France dans les années 1950, la maladie connaît une augmentation due au changement climatique. Marco Neri, président de Confagricoltura Toscana, a alerté sur la menace que représente la flavescence dorée pour les vignobles. Il a souligné la nécessité de collecter des fonds d'urgence pour faire face à la situation. En réponse, la région Toscane a mis en place un plan de lutte contre la maladie, avec la création de zones d'éradication, de "zones tampons" et d'endiguement autour de Lucca et Massa Carrara, où l'arrachage des vignes n'est plus possible.

Dans l'un des entrepôts de Bargino, en Toscane, désigné comme les "plus belles caves du monde" en 2022.

L'héritage viticole toscan, vieux de six siècles et vingt-six générations, n'est pas menacé par un insecte. Malgré les défis liés au changement climatique, la dynastie Antinori reste solide et parmi les principaux vignerons privés italiens en termes de chiffre d'affaires. Le marquis Antinori, installé dans les caves de Bargino, reste serein face aux nouveaux défis, même s'il reconnaît que les maladies liées au climat sont une préoccupation. La Toscane semble mieux résister que la région Frioul-Vénétie Julienne.

La cave de Bargino, ouverte en 2012, est difficile à repérer de l'extérieur. Son design a été pensé pour limiter son impact sur l'environnement.

« Ce qui nous inquiète le plus, ce n'est pas tant la sécheresse que l'aggravation du climat. Désormais, nous sommes confrontés à des pluies tropicales », explique Albiera Antinori. Pour s'adapter, nous plantons davantage en altitude et réduisons le nombre de vignes par hectare afin de faire face au stress climatique.

« Nous prenons des mesures pour assurer notre pérennité », ajoute le marquis Antinori, en soulignant que le raisin a toujours atteint une « maturité parfaite » au cours des quinze dernières années.

Le premier vigneron italien en termes de superficie de vignes cultivées a dû surmonter de nombreux obstacles. En prenant les rênes de l'entreprise en 1966, Piero Antinori se souvient de la crise économique qui sévissait dans l'agriculture toscane, avec une qualité très médiocre. Pour sortir de cette situation difficile, il s'est rendu à Bordeaux pour rencontrer Emile Peynaud, un oenologue réputé pour ses techniques révolutionnaires de vinification. Grâce à son expertise et à celle de l'oenologue italien Giacomo Tachis, qui est devenu son disciple, des avancées importantes ont été réalisées en Toscane, notamment l'introduction de la barrique et de la fermentation malolactique.

L'architecture extérieure de la cave Antinori dans la région du Chianti Classico est caractérisée par un escalier en colimaçon qui relie les trois étages du bâtiment. Cette photo a été prise par Simone Donati pour Les Echos Week-end.

À partir de 1974, Piero Antinori a décidé de produire le premier vin sangiovese vieilli en barrique, ce cépage rouge étant le plus important pour le chianti. Ce vin, nommé Tignanello et qualifié de « super Toscan », a révolutionné l'image des vins toscans et italiens. Pour Piero Antinori, il s'agissait d'une véritable renaissance. Cependant, cette initiative audacieuse a pris le risque de ne pas respecter les normes de l'appellation d'origine contrôlée chianti, risquant ainsi d'être classé comme vin de table. En contrepartie, ces vins seraient vendus à un prix plus élevé que les vins labellisés.

L'idée audacieuse se répand rapidement. La plupart des producteurs de vin en Toscane décident à leur tour de ne plus suivre les règles strictes du chianti classico. Convaincus de la qualité de leurs terroirs et du potentiel des cépages étrangers tels que le cabernet sauvignon, le merlot ou la syrah, les vignerons n'hésitent plus à les introduire. Ainsi, une nouvelle voie pour les vins hybrides est ouverte. Elle promet d'être prometteuse.

Le 30 mai 2024, la famille Antinori s'est réunie en l'honneur du cinquantième anniversaire du vin Tignanello, avec trois générations présentes. Les membres de la famille présents étaient Verdiana, Niccolo, Giovanni, Giulio, Pier, Alessia, Allegra, Vivia et Albiera.

Grâce au soutien du critique américain Robert Parker, le nouveau style introduit par Antinori a suscité un réel engouement à l'échelle internationale. Quelques décennies plus tard, la famille toscane a célébré, le 30 mai dernier, les 50 ans du premier super Toscan italien dans la cour du Palazzo familial, en présence du maire de Florence et de Sting, le célèbre chanteur qui, avec sa femme, a acquis le domaine toscan Il Palagio en 1997. Les Antinori et Sting ont en commun deux stars de la scène viticole italienne, les frères Riccardo et Renzo Cotarella. Le premier conseille le chanteur britannique, tandis que le second, successeur de Giacomo Tachis, a été nommé administrateur délégué d'Antinori en 2005. Alessia Antinori souligne que Renzo Cotarella est désormais considéré comme un membre à part entière de la famille.

Chaque année, l'empire Antinori produit 22 millions de bouteilles et vend ses produits dans 140 pays à travers le monde. Environ 60% de son chiffre d'affaires, soit 245 millions d'euros, provient des ventes à l'étranger.

50 ans après la création de Tignanello, la famille possède un empire qui produit 22 millions de bouteilles par an et est distribué dans 140 pays. Plus de 60% de leur chiffre d'affaires de 245 millions d'euros provient de l'international. En 1985, le groupe Whitbread, représentant de la famille en Amérique et en Angleterre, les a encouragés à investir en Californie avec la maison de bourgogne Bollinger. Antinori se rappelle avoir été séduit par le site d'Atlas Peak et avoir convaincu les Anglais d'acheter ce vignoble. En dix ans, ils ont réussi à construire une entreprise prospère à partir de rien. Pour couronner leur succès aux Etats-Unis, Antinori a récemment acquis en octobre 2023 le domaine emblématique de Stags' Leap, fondé par Warren Winiarski, ainsi que le domaine Col Solare dans l'Etat de Washington en juin 2024. Cela marque la réussite de leur stratégie de croissance aux Etats-Unis, où ils contrôlent désormais leur propre réseau de distribution, à l'image de la maison de bourgogne Drouhin en France, se réjouit le président d'honneur.

En 2023, la famille Antinori a acheté le célèbre vignoble Stag's Leap en Californie.

En parallèle, la maison Antinori a décidé de se tourner vers l'agriculture durable. Selon Piero Antinori, ils réduisent l'utilisation des pesticides, sauf en cas d'urgence, et ont arrêté d'utiliser le glyphosate depuis plusieurs années pour des raisons de santé et d'éthique. La petite dernière de la famille, Alessia Antinori, a repris la gestion de l'exploitation Principe Alberico, fondée par leur grand-père maternel, le prince Boncompagni Ludovisi, un pionnier de l'agriculture biologique en Italie, près de Rome. Albiera Antinori souligne cependant qu'il est important de maintenir un équilibre, car la réduction des pesticides peut favoriser l'émergence de maladies comme la flavescence dorée.

Albiera, Allegra et Alessia partagent une passion commune pour le vin qui les unit étroitement. La répartition des tâches s'est faite de manière naturelle entre elles.

Après avoir été fortement impacté par les événements des années 1980, où son partenaire britannique Allied Domecq avait failli prendre le contrôle de l'entreprise en raison de conflits avec son frère Lodovico, Piero Antinori a réalisé qu'il pouvait compter sur ses trois filles pour assurer la continuité de la société. Ces dernières partagent une passion commune pour le vin et ont naturellement réparti les rôles entre elles. Comme le célèbre styliste Giorgio Armani, Piero Antinori a choisi de mettre en place un trust familial afin de garantir la succession de l'entreprise. Son ami Ferruccio Ferragamo, héritier du groupe de luxe Ferragamo, fait partie des trois trustees chargés de veiller à la pérennité de l'entreprise. Ce trust assure l'indivisibilité de la propriété et une direction à long terme, puisqu'il ne peut être dissous pendant quatre-vingt dix ans, comme le souligne Albiera Antinori. Le marquis est encore plus catégorique : si la majorité de la famille était tentée de vendre ou d'ouvrir le capital, elle en sera empêchée.

Un trust pour assurer la durabilité

La plupart des grandes familles de producteurs de vin italiens, comme les Folonari de Brescia, connus pour leur vin Cabreo, n'ont pas réussi à maintenir leur unité. En raison des conflits familiaux, le producteur lombard a été contraint de vendre ses marques phares Folonari et Ruffino au groupe américain Constellation Brands en 2004. De même, le frère de Piero Antinori, Lodovico, a dû céder en 2002 son précieux domaine Ornellaia, situé à Bolgheri, en Maremme, au groupe californien Mondavi associé à la famille toscane des Frescobaldi. Selon Denis Pantini, du cabinet Nomisma à Bologne, les marques très haut de gamme d'Antinori et de Frescobaldi sont moins impactées par la crise de la consommation qui touche l'ensemble du secteur.

Actuellement, la maison Antinori est l'une des deux familles de vignerons italiens faisant partie de l'association Primum Familiae Vini, qui regroupe les douze plus importantes familles productrices de vin dans le monde. Leur cousin défunt, Mario Incisa della Rocchetta, créateur du célèbre Sassicaia considéré comme l'un des meilleurs vins d'Italie, en faisait également partie. Parmi les membres de la vingt-septième génération qui se préparent à prendre la relève, trois des petits-enfants (Vittorio, Verdiana et Niccolo) se sont déjà engagés dans l'entreprise, que ce soit au Chili ou dans le domaine du marketing. Il y a quelque temps, Piero Antinori a demandé à ses trois filles de lire The House of Mondavi, un livre de Julia Flynn Siler retraçant l'histoire de la montée et de la chute de la dynastie du roi du vin californien, Robert Mondavi. On raconte que certaines d'entre elles ont versé des larmes à la fin du livre, une leçon sur la fragilité de l'industrie viticole.

L'essor des vins exceptionnels de Toscane

Certains spécialistes situent l'origine des vins exceptionnels de Toscane dans les années 1944, lorsque Mario della Rocchetta, proche du baron Elie de Rothschild, introduit en Italie des plants de cabernet sauvignon provenant du château Lafite Rothschild. Cependant, c'est grâce au critique de vin américain, Robert Parker, que ces vins ont été popularisés sous le nom de "super Toscans". Contrairement à une appellation officielle, les super Toscans ont émergé dans les années 1970 en s'éloignant des règles traditionnelles des vins toscans en refusant d'utiliser principalement le sangiovese, le cépage rouge le plus répandu en Italie, comme le font les vins locaux renommés tels que le Chianti Classico ou le Brunello di Montalcino. Avec succès, ces vins exceptionnels (Sassicaia, Tignanello, Solaia, Masseto ou Ornellaia) sont maintenant parmi les plus coûteux et les plus recherchés en Italie. En 2023, une bouteille de Masseto du domaine Ornellaia, situé au pied des collines de Bolgheri, a été vendue pour un prix record de 56 250 euros chez Sotheby's.

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