Les chemins de Compostelle, un itinéraire spirituel très populaire pour les randonneurs, attirent de plus en plus de personnes chaque année. Cela en fait l'une des randonnées les plus prisées en France. Ce phénomène a donné lieu à la création d'une infrastructure jacquaire pour répondre aux besoins des pèlerins d'aujourd'hui.
Écrit par Mathilde Giard
Les chiffres sont en hausse une fois de plus. Cette année, le nombre de demandes de crédentiales à l'agence française des chemins de Compostelle a augmenté de 40 % par rapport à l'année dernière. Mi-juillet, plus de 230 000 pèlerins étaient déjà arrivés à Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne. Ce nombre pourrait battre le record de l'année précédente, où 446 000 pèlerins étaient enregistrés à la fin du parcours. Il y a dix ans, seulement la moitié de ce nombre atteignait la cathédrale de Saint-Jacques, épuisés, excités ou souffrant de douleurs aux pieds.
Les quatre principaux chemins français du pèlerinage de Compostelle sont la Via Turonensis, la Via Lemovicensis, la Via Podiensis et la Via Tolosana.
Avant de commencer cette aventure, il est nécessaire de se mettre en mouvement ! En France, dans le département de la Haute-Loire, débute l'une des routes les plus célèbres, la via Podiensis, connue sous le nom de GR65, qui relie Le Puy-en-Velay à Saint-Jean-Pied-de-Port. Chaque jour à 7 heures, du printemps à l'automne, la messe du pèlerin marque le début symbolique de cette longue randonnée, à parcourir sur plus de 1 500 kilomètres d'une seule traite ou en segments au fil des années. Que l'on soit croyant ou non, cette cérémonie fait partie du rituel instauré par Godelscalc, évêque du Puy partant vers l'an 950, accompagné de clercs, de nobles et de soldats chargés de repousser les loups et les bandits qui infestaient les campagnes à l'époque… Les temps ont bien changé ! Le chemin est désormais sécurisé, parfaitement balisé et, depuis une dizaine d'années, il a été quelque peu modifié.
Dans les régions montagneuses de l'Aubrac, sur le trajet entre Aumont-Aubrac et Conques.报道作者：Sébastien Cambos.
Terminé le temps où les pèlerins devaient partager un dortoir pour passer la nuit. Avec une demande croissante et des profils diversifiés, les agences de voyages spécialisées se sont développées, notamment Via Compostela, qui propose une variété d'options d'hébergement, allant des gîtes aux hôtels en passant par les chambres d'hôtes de charme. Le chiffre d'affaires augmente de 10% chaque année et de plus en plus de réservations se font longtemps à l'avance. Il est devenu difficile de prévoir un voyage au dernier moment, car l'offre d'hébergement est limitée et de petite capacité, ce qui rappelle la planification anticipée des vacances au ski par les Français.
En quittant les plateaux de l'Aubrac, le marcheur sur le chemin de pèlerinage allège son sac, tant physiquement que mentalement.
L'essor du chemin a apporté une nouvelle vie à certains villages, comme Saint-Privat-d'Allier, qui est la première étape du chemin de Compostelle partant du Puy-en-Velay. Sébastien, un homme de 55 ans originaire de la région parisienne, se rappelle qu'enfant, il n'aimait pas venir en vacances dans ce village qu'il trouvait triste et habité par des personnes âgées. Aujourd'hui, les anciennes maisons ont été rénovées et transformées en gîtes, l'école n'est plus menacée de fermeture. Des nouveaux commerces ont ouvert, comme une boulangerie, une épicerie, des bars, et une boucherie tenue par un artisan reconnu qui propose un excellent saucisson pour les pique-niques.
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Les randonneurs arrivent en groupe avec leurs sacs à dos à différents moments de la journée. Le soir, il est possible de discuter avec des personnes venant de différents pays autour d'une bière au bar 'Kompost'l', où des groupes de musique se produisent une fois par semaine. La secrétaire de mairie, Françoise Ferreboeuf, qui travaille depuis plus de trente ans, remarque également ce changement. Au début, les pèlerins étaient hébergés dans une ancienne école où le ménage n'était pas fait régulièrement. Ils étaient simplement contents d'avoir un lit. Depuis cette année, le gîte L'Escargot dans sa Coquille à Saint-Privat-d'Allier propose même des massages, géré par un couple de l'Ain, Catherine Richard et Philippe Delarivière, qui ont vu le potentiel du chemin de Saint-Jacques.
Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle suit des chemins de randonnée bien balisés et reconnaissables.
Plus loin sur le chemin, le refuge du Sauvage, situé en Margeride, est désormais un lieu incontournable. Géré par une coopérative agricole, il met en avant chaque soir les produits locaux. Plus loin encore, les artistes ont investi le sentier pour y exprimer leur créativité. Dans le cadre d'un projet appelé Fenêtre sur paysages, une dizaine d'œuvres-refuges ponctuent le parcours. Parmi celles-ci, on trouve Suchaillou, un abri troglodyte suspendu à la roche, conçu par la designer renommée Constance Guisset. Les pèlerins peuvent y passer la nuit gratuitement en récupérant la clé chez un habitant dont le contact est indiqué sur la porte. Situé à un col exposé au vent, cet endroit offre une vue panoramique sur la chaîne des puys.
Le photoreportage
Les photos de ce reportage ont été prises lors du voyage de Sébastien Cambos. De retour dans sa région natale du Gers, le photographe redécouvre le chemin de Compostelle, qu'il explore à la fois spirituellement et visuellement. Après être arrivé à Saint-Jacques, Sébastien Cambos prévoit de continuer sur le camino de Fisterra jusqu'au cap Finisterre. Ce lieu, situé à la pointe de l'Europe occidentale, symbolise la fin du voyage physique et le commencement d'une transformation intérieure. Selon la tradition, les pèlerins qui atteignent cet endroit brûlent leurs vêtements et leurs sandales pour marquer un renouveau personnel.
Il n'est pas étonnant que de plus en plus de villes adhèrent au label "Communes haltes – Chemins de Compostelle en France", créé en 2022 par l'agence française des chemins de Compostelle. Des villes comme Toulouse, sur la voie d'Arles, ou le bourg de Montréal dans l'Aude, sur la voie alternative du Piémont pyrénéen, ont rejoint ce label. Selon John Palacin, président de l'agence, le nombre de candidatures a doublé en 2024, ce qui montre que ces villes ont compris les avantages pour leur territoire. Même Paris, point de départ de la Voie de Tours, a adhéré à ce label à la fin de 2023.
À l'origine, les chemins menant à la basilique Saint-Jacques de Compostelle étaient parcourus par des chrétiens, marqués par la présence de croix. Aujourd'hui, ces chemins sont empruntés pour des motifs autres que religieux.
La marche itinérante est une réponse au besoin de s'éloigner des écrans, de ralentir dans un monde où tout va vite, et à un intérêt croissant pour le patrimoine, largement encouragé par les émissions de Stéphane Bern, selon John Palacin, conseiller régional en Occitanie. Même si les raisons qui poussent les pèlerins modernes à marcher sont de moins en moins religieuses (seulement 12%), elles n'en sont pas moins empreintes de spiritualité, comme le souligne le sociologue David Le Breton, auteur de Eloge de la Marche (Métailié). Une forme de spiritualité remplace désormais la religiosité, avec la quête d'une expérience personnelle en observant le lever du soleil ou en suivant une colonne de fourmis sur le sentier. Le chemin est devenu une légende contemporaine, revêtu d'une certaine noblesse pour ceux qui l'ont parcouru.
Des monticules de pierres, appelés cairns, marquent le chemin parcouru par les pèlerins.
Au fil du temps, une communauté s'est formée autour du chemin de Saint-Jacques. Le guide Miam Miam Dodo, créé en 1997 et devenu une référence, se vend à 60 000 exemplaires par an, une augmentation de 60 à 70 % depuis sa création. L'idée est née d'une discussion autour d'une tasse de café, suite à une demande des hébergeurs pour recenser les logements abordables. Les pèlerins avaient du mal à trouver des hébergements à des prix raisonnables et se retrouvaient à frapper aux portes d'hôtels trop chers, explique Jacques Cloutot, le fondateur. Vingt ans plus tard, en 2016, le guide Michelin a lancé son propre guide avec un format original.
Un guide de voyage pour le Chemin de Compostelle, accompagné d'une carte à l'échelle 1/200 000, d'un plan détaillé de l'itinéraire et des principaux sites à visiter le long du chemin. Ce guide compact de 220 pages a déjà été vendu à 50 000 exemplaires et en est à sa quatrième réédition. Philippe Orain, directeur des Guides Michelin, souligne que cet ouvrage répond à la tendance croissante pour les voyages alliant nature, patrimoine et spiritualité, notamment le Chemin de Saint-Jacques.
D'autres acteurs ont réussi à trouver leur place dans ce domaine. Pour ceux qui préfèrent voyager léger et éviter de porter un sac à dos lourd, des entreprises de transport de bagages ont vu le jour, telles que La Malle postale, créée en 2009 au Puy-en-Velay et devenue leader sur la voie du Puy. Nadine Ollier, cogérante de l'entreprise, raconte comment ils ont commencé dans leur mezzanine et ont maintenant une équipe d'une cinquantaine de personnes pendant la saison. Elle constate l'apparition d'un nouveau type de clientèle : beaucoup de jeunes couples avec enfants, notamment pendant les vacances de Pâques et en juillet et août.
L'église de Navarrenx se situe au centre du Béarn.
Avec une fréquentation en augmentation constante, le chemin de Saint-Jacques est devenu l'un des itinéraires de randonnée les plus populaires en France. Au magasin Le Vieux Campeur, situé près de la rue Saint-Jacques à Paris, les marcheurs se lançant vers Compostelle représentent la clientèle principale du rayon randonnée. Selon Louis-Alexandre Lucotte, responsable de la boutique, ils sont plus nombreux que ceux qui font le tour du Mont-Blanc ou le GR20 en Corse. En effet, une diversité de générations est présente parmi ces pèlerins, incluant des étudiants, des quadragénaires et des seniors.
Selon Annie Sissoko, qui est en charge du développement commercial à la fédération française de randonnée, il y a encore quelques chemins concurrents. Parmi eux, le chemin de Saint-Jacques est le plus long avec une saison qui s'étend d'avril à octobre. Cependant, il doit faire face à la popularité croissante du chemin de Stevenson, boostée par le film "Antoinette dans les Cévennes", ainsi que du GR20 en Corse, connu pour son défi sportif et son immersion dans la nature il y a vingt ans. Deux autres chemins font également partie des favoris : le GR34, qui fait le tour de la Bretagne et est très fréquenté toute l'année, surtout par les habitants locaux pour des balades à la journée, et le tour du Mont-Blanc.
Arrivée à Saint-Jean-Pied-de-Port, un point de passage important dans les Pyrénées entre la France et l'Espagne, où convergent les chemins venant de France.
La popularité croissante du chemin de Compostelle pose-t-elle un risque de surfréquentation ? Il semble qu'il y ait encore de la place pour accueillir les pèlerins, mais certains tronçons pourraient être saturés. Il est possible que d'autres chemins prennent le relais, comme le chemin du mont Saint-Michel, la via Francigena ou le Tro Breiz. Ces chemins offrent des paysages variés et une expérience spirituelle différente. Selon le sociologue David Le Breton, il suffira d'un livre ou d'un film pour désigner le prochain chemin de pèlerinage à la mode, en accord avec les valeurs de notre époque. Le choix du chemin dépendra des aspirations des pèlerins du futur.
De nombreux films ont été inspirés par le sujet de Saint Jacques, tels que Saint-Jacques -La Mecque de Coline Serreau et L'Homme pressé avec Fabrice Luchini. Des bandes dessinées comme Six mois et un autre de Blaise Pruvost ou Partir de Lili Sohn ont également exploré ce sujet. Dans le domaine de la littérature, des auteurs tels que Jean-Christophe Rufin avec Immortelle Randonnée ou Alix Saint-André avec En avant marche ont abordé le thème. Plus récemment, Maud Ankaoua a publié Plus jamais sans moi (éditions Eyrolles), qui a déjà été vendu à 250 000 exemplaires depuis sa parution en 2023. Ce livre mêle développement personnel et romance à travers l'histoire de Constance, une avocate brillante qui se rend compte avec surprise, en signant son contrat dans un cabinet d'élite, que sa période d'essai consiste à parcourir le chemin de Compostelle.
5 endroits emblématiques
Depuis 1998, 78 sites et portions de chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle ont été reconnus comme faisant partie du patrimoine mondial de l'Unesco. Voici nos préférences, le long des quatre itinéraires principaux – Arles, Le Puy, Tours et Vézelay.
Les vitraux de Conques, situés dans l'Aveyron, sont remarquables. L'abbatiale, construite en grès rouge et schiste gris, est magnifique, notamment grâce aux vitraux blancs réalisés par Pierre Soulages, originaire de la région. Le tympan représentant le Jugement dernier est impressionnant, étant considéré comme un chef-d'œuvre de l'art roman.
Le pont des pèlerins à Saint-Chély-d'Aubrac en Aveyron est un lieu simple mais émouvant pour les marcheurs qui le traversent. Construit au XIVe siècle, ce pont enjambe la rivière Boralde et comporte une croix au milieu, rappelant le passage de milliers de pèlerins avant eux.
Le cloître de Moissac, situé dans le département du Tarn-et-Garonne, est l'un des plus bien préservés dans le monde chrétien occidental. Ses chapiteaux racontent des histoires bibliques de manière illustrée, comme dans une bande dessinée. Le tympan de cette abbaye clunisienne, également classé, dépeint une scène de l'Apocalypse.
L'église Saint-Hilaire à Melle, située dans le département des Deux-Sèvres, est un bel exemple de l'art roman. À l'intérieur, on trouve un choeur moderne au design impressionnant. Une sculpture particulièrement originale attire l'attention : un grand cavalier semble écraser un petit personnage au sol, sculpté dans la pierre dorée de Saintonge.
La basilique de Vézelay, située dans l'Yonne, se trouve perchée sur une colline offrant une vue magnifique sous la lumière dorée. Cet imposant édifice dédié à Sainte Marie-Madeleine est le point de départ de la voie de Vézelay, la plus longue des quatre grandes routes françaises également connue sous le nom de via Lemovicensis.
Le nom Mathilde Giard
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