Margaret Menegoz, une productrice renommée pour avoir travaillé avec des réalisateurs tels qu'Eric Rohmer, Wim Wenders, Marguerite Duras et Michael Haneke, est décédée à l'âge de 83 ans. Pendant près de 46 ans, elle a dirigé les films du Losange, contribuant ainsi à l'élaboration d'une filmographie remarquable tant en France qu'à l'étranger.
Écrit par Pierre de Gasquet et Adrien Gombeaud
Un bâtiment apparemment ordinaire mais élégant, situé près de l'intersection de l'avenue Pierre-Ier-de-Serbie et de l'avenue Marceau. Cet endroit, qui abrite les bureaux des Films du Losange à Paris, est à la fois ordinaire et emblématique. C'est ici que Margaret Menegoz, une productrice franco-hongroise d'origine allemande, a dominé le cinéma d'auteur français pendant plus de quarante ans. Elle vient de nous quitter à l'âge de 83 ans, laissant derrière elle un héritage inégalé dans l'histoire du cinéma français.
Margaret Menegoz, admiratrice et alliée d'Eric Rohmer et de Barbet Schroeder, a joué un rôle essentiel dans le soutien et la promotion de talents majeurs tels que Marguerite Duras, Andrzej Wajda, Lars von Trier et Michael Haneke, dont le film "Amour" a remporté la Palme d'Or en 2012. Sa philosophie est que chaque auteur est unique et qu'il n'existe pas de système standard pour créer des oeuvres cinématographiques.
L'histoire incroyable du Losange commence en 1962, lorsqu'un jeune homme franco-suisse de 19 ans rencontre un membre important des "Cahiers du Cinéma". Passionné par le cinéma, Barbet Schroeder passe son temps à la Cinémathèque. Après avoir été renvoyé de la direction des "Cahiers", Eric Rohmer, plus âgé de vingt ans, lui propose de créer une revue concurrente. Barbet lui répond qu'il préférerait l'aider à réaliser ses films. A l'âge de 22 ans, il met en gage un tableau du peintre expressionniste allemand Emil Nolde, hérité de sa mère, pour créer la société.
Après treize ans, Rohmer est à la recherche d'une assistante pour son film "La Marquise d'O", basé sur une nouvelle de l'écrivain allemand Heinrich von Kleist. Il engage une jeune femme d'origine hongroise recommandée par le directeur du Centre national du Cinéma (CNC), Pierre Viot. Margaret, âgée de 33 ans et mariée au documentariste Robert Menegoz, travaille avec lui en tant que régisseuse, scripte et productrice. Elle est embauchée comme secrétaire polyvalente, mais devient rapidement la force motrice de la société de production Losange, passant d'une logique d'autoproduction à une logique de production.
En 1978, elle a produit le film "Perceval le Gallois" de Rohmer, qui était à la fois original et incroyable dans sa forme. Malgré son échec au box-office, elle a ensuite réalisé les "Comédies et Proverbes". Les premiers films de Rohmer, tels que "La Femme de l'aviateur" et "Le Beau Mariage", ont connu des succès divers. Parallèlement, Gaumont lui a confié des productions importantes, telles que "Danton" de Wajda, des films de Comencini ou "Un amour de Swann" de Volker Schlöndorff, ce qui a permis de générer des revenus pour le Losange.
Margaret entretenait une relation étroite avec les auteurs. Elle se dévouait pleinement au service du film, cherchant à toujours saisir leurs intentions. Sa précision dans son travail était remarquable, rappelle Régine Vial, sa collaboratrice la plus proche. Son expérience en tant que monteuse lui conférait une connaissance approfondie des différentes étapes de la production cinématographique, ce qui était d'une grande valeur pour nous.
Une observation pointilleuse
Selon une ancienne enseignante de français et propriétaire de cinémas, les réalisateurs bénéficiaient d'une compréhension approfondie de leur travail qui favorisait une véritable collaboration. Margaret portait un regard exigeant sur les films qu'elle produisait, cherchant à les promouvoir le plus longtemps possible pour maximiser leurs chances de réussite et à travailler sur le catalogue de manière similaire à un éditeur.
Je suis convaincu que les femmes productrices sont plus efficaces que les hommes car elles ont moins d'ego.
Dans une interview accordée à "Télérama" en 2017, Margaret Menegoz exprimait son opinion selon laquelle les femmes productrices étaient plus compétentes que les hommes en raison de leur moindre ego. Elle a souligné que les femmes étaient moins perçues comme des concurrentes et qu'il y avait moins de rivalités entre elles. En effet, aux côtés de Martine Marignac et Claudie Ossard, elle s'est imposée comme l'une des trois productrices les plus respectées dans un secteur encore largement dominé par les hommes.
La société de production Les Films du Losange ne se concentrait pas sur la recherche de profits en produisant des films. Au contraire, elle était motivée par la passion de créer des films. Régine Vial résume bien cette philosophie en affirmant que l'essence de la maison était l'amour du cinéma. De son côté, l'autre figure importante du Losange, active dans le domaine de la distribution depuis 1986, souligne que la vraie richesse de la société réside dans le talent de ses réalisateurs, qui perdure au fil du temps.
Surnommée "Marga" par ses pairs, elle renforce la collaboration entre la France et l'Allemagne dans le domaine de la création. C'est grâce à elle que des réalisateurs tels que Wim Wenders, Margarethe von Trotta, Helma Sanders-Brahms, Rainer Werner Fassbinder (pour "La Roulette chinoise") et Marguerite Duras ont été invités au Losange.
La rencontre avec Michael Haneke a été déterminante pour Menegoz. Le célèbre réalisateur de "Funny Games" a remporté deux Palmes d'Or avec la société de production Losange : "Le Ruban" en 2009 et "Amour" en 2012. "Amour" a eu un impact important sur Menegoz, selon Régine Vial. Ce film de Michael Haneke n'était pas prévu pour devenir un succès mondial, mais il a été vendu dans tous les pays du la planète. De son côté, le film "Marga" de Rohmer a connu un grand succès en Allemagne et aux Etats-Unis.
En se tournant vers l'étranger
Margaret a brillamment choisi de se tourner vers l'international. Sa maîtrise de trois langues a été un atout précieux. Elle a permis à nos écrivains d'être reconnus à l'échelle mondiale… Elle savait comment rendre des œuvres exigeantes accessibles à un large public. Avec l'aide de Daniel Toscan du Plantier, ancien collaborateur de Nicolas Seydoux à Gaumont et directeur d'Unifrance, le duo Menegoz-Vial va propulser le cinéma d'auteur sur la scène internationale.
Suite à la mort de Daniel Toscan du Plantier, Margaret Menegoz a pris la direction d'Unifrance, qui promeut le cinéma français à l'étranger, de 2003 à 2009. Ensuite, elle a également présidé l'Académie des Césars en 2020, par fidélité et par amour pour le cinéma français.
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Le Losange a commencé une nouvelle phase de son existence grâce à Charles Gillibert et Alexis Dantec, qui sont désormais aux commandes en tant que producteurs. Après la décision de Margaret Menegoz et Barbet Schroeder de vendre le Losange et ses 350 films en 2021, Régine Vial explique que Margaret ne voulait pas seulement vendre le catalogue, mais aussi assurer la continuation de la production car elle considérait que c'était la véritable force du studio. Selon elle, aucun film ne devrait rester inactif, car un film qui reste sur une étagère est condamné à l'oubli. Ainsi, il revient maintenant au Losange de faire vivre ses films et de préserver l'héritage de Margaret Menegoz à travers eux.
Les noms de Pierre De Gasquet et Adrien Gombeaud.
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