Jeanne Gang, une architecte célèbre basée à Chicago, a été inspirée dans son travail par ses premières expériences de jardinage. Depuis de nombreuses années, elle s'efforce d'incorporer des matériaux biosourcés et de favoriser le recyclage dans ses projets architecturaux. Récemment, elle a publié un livre fascinant sur le concept de "greffe en architecture", qui témoigne de sa volonté de combiner sa passion pour la nature et son amour pour la construction.
Écrit par Laura Berny
Jeanne Gang, auteure de L'Art de la greffe en architecture, suggère d'utiliser la méthode de la greffe de manière innovante en architecture et en urbanisme pour repenser l'usage des bâtiments et lutter contre le changement climatique. Cette architecte est passionnée par son métier, mais aussi par la protection de l'environnement et l'écologie, ainsi que par les liens qui nous unissent aux autres et au monde qui nous entoure.
Est-ce que la nature vous inspire grandement ?
Ayant grandi dans une petite ville où j'ai beaucoup pratiqué des activités en plein air, je me suis toujours intéressé aux plantes et aux animaux. La protection de l'environnement est un aspect important pour moi et influence ma façon de concevoir l'architecture. Mes premières expériences en jardinage et en observation de la nature ont joué un rôle dans l'inspiration de ma vision de l'architecture greffée. Comme les greffeurs de plantes, les architectes peuvent ajouter de manière réfléchie des éléments à nos bâtiments existants pour les améliorer et les rendre plus durables et esthétiques. C'est une approche de conception créative et intellectuellement satisfaisante qui favorise le développement durable.
D'où vient l'idée d'appliquer la greffe à l'architecture ?
J'ai découvert quelque chose d'unique et original, que je n'avais jamais vu ailleurs. C'était le parfait exemple de ce que nous devrions faire pour l'environnement et l'architecture, en ajoutant de manière particulière aux bâtiments existants. Certains architectes, comme Lacaton & Vassal, ont déjà travaillé avec succès sur des bâtiments existants. Cependant, j'ai remarqué qu'il y avait un manque de clarté et de langage sur cette pratique. Après avoir travaillé sur plusieurs projets de rénovation et avoir enseigné la réutilisation des bâtiments en béton à la Harvard Graduate School of Design, j'ai décidé d'écrire un livre. L'application du concept de greffe à l'architecture demande de la créativité et de la précision dans la conception. Ce livre s'adresse spécifiquement aux personnes ayant des connaissances en architecture. Il ne prétend pas être une encyclopédie, mais plutôt un manifeste espérant aider d'autres architectes.
Une nouvelle école est sur le point de débuter ?
Il est possible que oui. En tout cas, j'espère que cet outil sera bénéfique pour réfléchir à tout type de projet.
Est-ce que cela veut dire que vous allez désormais vous concentrer uniquement sur la rénovation de bâtiments déjà construits ?
Non, je souhaite simplement que cela fasse réfléchir les propriétaires de bâtiments. Plutôt que de démolir ou de reconstruire entièrement, comme c'est souvent le cas aux États-Unis, j'espère qu'ils envisageront la réutilisation. De la même manière, en Europe, si un bâtiment historique est concerné, au lieu de chercher à le conserver intact, nous pourrions être plus ouverts à l'idée d'y apporter des éléments nouveaux – afin d'établir un dialogue entre le passé, le présent et éventuellement l'avenir.
On a toujours du travail à faire, n'est-ce pas ?
C'est exact. Nous avons l'habitude de croire qu'une construction est achevée pour toujours. Cependant, si nous la voyons comme quelque chose de vivant, elle peut connaître différentes phases dans sa vie.
Quels sont vos objectifs pour l'avenir ?
Le Centre John W. Boyer de l'université de Chicago à Paris dans le XIIIe arrondissement sera terminé en novembre. En plus de cela, nous sommes impliqués dans plusieurs autres projets locaux et internationaux, comme la construction d'un nouveau centre de conférence en bois à Harvard. Nous travaillons également sur un projet bénévole à la cité Falguière, une résidence d'artistes à Paris ayant accueilli des artistes renommés tels que Gauguin et Modigliani, et qui nécessite une importante rénovation.
Jeanne Gang est passionnée par les oiseaux. Elle prend plaisir à les observer partout où elle va, même en ville. Elle prend l'habitude de sortir tôt le matin pour les regarder et a toujours ses jumelles avec elle lors de ses voyages.
Quelle est votre opinion sur les récentes initiatives de construction de villes aux Etats-Unis et à travers le monde ?
Il est intéressant de noter que ces projets se présentent souvent comme novateurs, mais ils répètent en réalité l'erreur ancienne de tout recommencer à zéro. Au lieu de prendre en considération l'écologie spécifique, les habitants et la culture déjà présents dans un endroit, ils prétendent que la terre est une toile vierge sur laquelle ils peuvent imposer leur propre vision du développement. La terre est habitée par des êtres vivants et chargée d'histoire humaine. Lorsque de nouvelles villes sont construites, il est essentiel de prendre en compte l'impact environnemental et culturel qu'elles peuvent avoir.
Cependant, il y a déjà eu des exemples de villes utopiques…
En effet, il est vrai que certaines villes se sont voulues utopiques. En France, il existe une longue histoire de telles villes, notamment dans les régions minières du Nord. Dans ma ville natale de Chicago, je pense à Pullman, une ville nouvelle créée dans le sud de la ville à la fin du XIXe siècle. Le directeur de la compagnie de tramways Pullman souhaitait établir une société utopique, mais en réalité, il s'agissait davantage d'une "ville d'entreprise" similaire à ce que les gens de la technologie imaginent aujourd'hui, avec des logements pour les ouvriers à proximité des usines. Cependant, pour qu'une ville attire les habitants et prospère, elle ne peut se limiter à la construction de logements et de lieux de travail.
Quelles sont vos activités préférées pendant votre temps libre ?
Les oiseaux sont ma passion. Peu importe où je vais, même en ville, je me lève tôt le matin pour les regarder. Mes jumelles sont toujours avec moi ! Je repère les différentes espèces et je note mes observations sur l'application eBird, développée par l'université Cornell pour un projet de science participative. À Paris, j'aime particulièrement observer les oiseaux aux Buttes-Chaumont. Il y a une grande variété de plantes et d'arbres, ce qui attire une diversité d'oiseaux.
Si vous deviez faire un choix entre vivre en ville ou en pleine nature, que choisiriez-vous ?
Je trouve difficile de penser que la ville et la nature sauvage sont des concepts opposés, car la nature peut exister même au cœur des zones urbaines. Les architectes ont un rôle important à jouer dans la préservation de la biodiversité, surtout en milieu urbain. Un exemple concret est le projet de la promenade dans la nature au zoo de Lincoln Park à Chicago. En agrandissant et en approfondissant l'étang, nous avons permis aux poissons d'avoir plus d'oxygène et créé de nouveaux habitats. Cette initiative a permis le retour de nombreux animaux comme les chauves-souris, les tortues, les hérons, les mouffettes et les coyotes.
Quels sont les livres qui vous ont le plus marqué dans votre vie de lecteur ?
Il y a beaucoup de livres que j'aime. J'apprécie les écrits de Stephen Jay Gould, un paléontologue et biologiste de l'évolution qui a enseigné à Harvard, ainsi que L'Invention de la nature, écrit par Andrea Wulf sur le naturaliste allemand Alexander von Humboldt. Récemment, j'ai découvert La Vie des plantes, un ouvrage du philosophe italien Emanuele Coccia. Comme moi, il explore les thèmes des métamorphoses, de l'hybridation et des liens entre les objets et la nature. Enfin, je possède également tous les livres de Bruno Latour.
Jamais de contenu fictif ?
Ma préférence va aux essais, mais je lis généralement entre dix et quinze livres simultanément ! J'apprécie énormément l'œuvre de Margaret Atwood, notamment son roman dystopique La Servante écarlate qui résonne particulièrement avec l'essor du populisme. J'ai également un grand intérêt pour les écrits d'Aleksandar Hemon, un écrivain bosniaque qui a fui la guerre en ex-Yougoslavie pour s'installer à Chicago. Nous avons même tissé des liens d'amitié. Ses livres très originaux explorent les liens qui nous unissent en tant qu'êtres humains, mais également avec la nature, le monde et tout ce qui nous entoure. Certains le comparent même à Nabokov !
Qu'est-ce qui vous rendrait le plus heureux en ce moment ?
Je vais souvent à la Bibliothèque nationale car j'apprécie beaucoup les livres. C'est un lieu que j'apprécie particulièrement et où j'aime passer du temps lorsque j'en ai l'occasion. Je trouve cet endroit vraiment magnifique.
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