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L’incroyable histoire cachée du western italien : quand l’Italie révolutionnait le cinéma de l’Ouest

Il y a plus de soixante ans, est apparu le western italien. C'était une nouvelle version du genre western, avec des musiques originales mémorables. Ce genre a contribué à revitaliser le western américain et à moderniser le cinéma.

Écrit par Thierry Gandillot

En 1963, le cinéma italien a remporté trois grands prix. Luchino Visconti a remporté la Palme d'or à Cannes avec Le Guépard. Francesco Rosi a remporté le Lion d'or à Venise avec Main basse sur la ville. Gian Luigi Polidoro a remporté l'Ours d'or à Berlin avec L'Amour à la suédoise. Un jeune réalisateur de 34 ans, Sergio Leone, admire particulièrement Visconti. Avant cela, il a travaillé comme assistant pour Vittorio De Sica sur Le Voleur de bicyclette et William Wyler sur Ben-Hur (il aurait même supervisé la célèbre course de chars). Son film le plus connu est Le Colosse de Rhodes, un péplum à succès.

Peu de gens le savent, mais pendant que ces réalisateurs établis sont reconnus à l'échelle mondiale, une révolution discrète est en train de se produire. Il s'agit d'un nouveau genre totalement inattendu, connu plus tard sous le nom de western spaghetti de façon péjorative, ou plus honorablement sous le nom de western italien. Cette révolution a été rapide – elle a duré à peine plus de sept ans – mais elle a eu un impact majeur sur l'histoire du cinéma.

Le concept de western italien aurait surpris John Ford. Lorsque Burt Kennedy, un auteur de westerns moins connu, demande à Ford s'il a vu des westerns "espagnols ou italiens", Ford répond rapidement : "C'est une plaisanterie ?" Kennedy insiste en disant qu'il y en a même qui sont très populaires. Ford demande alors à quoi cela ressemble. Kennedy explique qu'il n'y a pas d'histoire, pas de scénario, juste des meurtres, entre 50 et 60 par film. Ces propos ont été rapportés par Alex Cox dans son livre "10,000 façons de mourir" publié chez Carlotta.

"Combien de personnes allons-nous éliminer aujourd'hui ?"

En ce qui concerne les assassinats, il y a une part de vérité dans cette remarque. Sur le plateau de tournage de Django, l'acteur Franco Nero demande à Corbucci : "Combien de personnes allons-nous éliminer aujourd'hui, Sergio ? Cinq ? Six ?" – "Beaucoup plus, 25-30 ! Amusons-nous !" Corbucci ne mentait pas : c'est lors de la scène où Django sort la mitrailleuse du cercueil qu'il traîne dans la boue depuis le début du film, sans que personne ne sache pourquoi. Il élimine l'armée de tueurs encagoulés envoyée par le major Jackson, un suprémaciste blanc odieux. Quant au reste – l'histoire, le scénario… – , qui se souvient de Burt Kennedy ?

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Il y a eu une fois une révolution incroyable dans le monde du cinéma. Cette révolution a été initiée par quelques réalisateurs talentueux, notamment les trois Sergio : Corbucci, Leone, Sollima. En 1966, lors de l'apogée du western italien, ils ont créé trois films exceptionnels : Django (Corbucci), Le Bon, la Brute et le Truand (Leone) et Colorado (Sollima). On peut également mentionner le remarquable El Chuncho de Damiano Damiani la même année, mettant en vedette Lou Castel, Gian Maria Volonté et Klaus Kinski.

En 1984, Sergio Leone a été photographié par les médias lors du Festival de Cannes, où son film "Il était une fois en Amérique" est sorti cette année-là.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue l'ensemble de l'industrie qui a émergé et s'est propagée rapidement dans le monde entier, y compris aux Etats-Unis, en partant de l'arbre des Sergio.

Jusqu'à la fin des années 1960, les films péplum étaient très rentables pour les producteurs. Le film "Les Travaux d'Hercule" de Pietro Francisci, avec l'acteur Steeve Reeves, a été un grand succès en 1958 et a ouvert la voie à 170 autres productions. Ces films représentaient plus de deux tiers des bénéfices du cinéma italien à l'époque.

Le genre du péplum montre des signes de fatigue en 1963, avec des films comme Sodome et Gomorrhe de Robert Aldrich et Cléopâtre de Mankiewicz qui sont des échecs financiers. Il est urgent de trouver une nouvelle direction. C'est à ce moment que "Pour une poignée de dollars" de Sergio Leone relance l'industrie cinématographique. Ce nouveau type de héros de western, jeune, original dans sa tenue, avec un chapeau sur les yeux, une cigarette aux lèvres, un tireur d'élite décontracté et ironique, devient très populaire. Des personnages comme Joe de Clint Eastwood, Django de Franco Nero, Ringo de Giuliano Gemma, Stranger de Tony Anthony, ou Sartana de Gianni Garko, ont donné naissance à de nombreuses imitations. Il y a eu jusqu'à seize Django, quatorze Ringo et autant de Sartana. À cette époque, la propriété intellectuelle n'était pas protégée, ce qui a permis à ces noms de devenir des termes du domaine public, comme la marque de biscuits Ringo.

Parmi toutes les adaptations, celle de Django se distingue des autres. Quentin Tarantino l'admire tellement qu'il a réalisé en 2012 un remarquable film Django Unchained (où Franco Nero joue un petit rôle aux côtés de Leonardo DiCaprio). Et en 2023, Canal+ diffuse une série de Francesca Comencini avec Matthias Schoenaerts dans le rôle principal.

Franco Nero, connu comme l'un des symboles du héros mystérieux aux côtés de Clint Eastwood, pense que le succès de "Django" vient du fait qu'il touchait les jeunes travailleurs. Ces derniers, qui étaient souvent humiliés par leurs supérieurs, aspiraient à être comme Django. Pour eux, le film représentait une forme de rébellion et d'émancipation. Selon Nero, "Django" restera un film immortel qui continuera à marquer les esprits.

Les films présentent des personnages tels que des criminels, des prostituées et des chasseurs de primes, qui ont été réalisés par des hommes ayant vécu leur adolescence sous le régime de Mussolini, ce qui les a profondément marqués. Leurs scénarios reflètent cette influence et arrivent à un moment où les mouvements révolutionnaires commencent à émerger, remettant en question le système capitaliste et menant à des actions violentes, notamment en Italie (comme l'affaire Aldo Moro). Corbucci raconte qu'il a été confronté de manière agressive par un petit groupe d'extrême gauche qui lui demandait de payer un impôt révolutionnaire. Cela l'a amené à se demander si leurs films n'avaient pas franchi une limite.

L'affiche italienne du film "Pour quelques dollars de plus" réalisé par Sergio Leone en 1965, mettant en vedette Clint Eastwood. Photo12/Constantin Film Production/7e Art.

Après le succès inattendu de Pour une poignée de dollars en septembre 1964, les producteurs ont commencé à lancer divers projets, certains se révélant être des échecs, d'autres étant brillants. Des personnages tels que des bandits, des pistoleros, des prostituées, des proxénètes, des chasseurs de primes, des justiciers, des révolutionnaires mexicains, des banquiers et industriels détestables, des prêtres corrompus ou fanatiques, des gangs racistes, d'anciens militaires sudistes ou nordistes débraillés, ont envahi les écrans. Ils étaient accompagnés de scènes sanglantes, de tortures inédites et d'une bande-son inattendue. Au total, selon Frayling, 352 westerns spaghetti ont été réalisés entre 1966 et 1972.

L'industrie cinématographique italienne était devenue la deuxième plus grande exportatrice au monde après celle des États-Unis. Souvent, les films étaient censurés ou interdits en raison de leur violence. Les distributeurs étaient eux-mêmes effrayés par ces œuvres. Les titres des films étaient évocateurs : "Tire si tu peux", "Tue et prie", "Un mercenaire à abattre", "Sang dans les montagnes", "Les Colts de la violence", "Un pistolet pour Ringo", "Une minute pour prier, une seconde pour mourir", "Les Cruels", "Le Dernier duel", "Little Rita dans l'Ouest" – une parodie amusante du titre de l'opéra de Puccini, "La Fille du Far-West" (traduit en français par "T'as le bonjour de Trinita !").

Pourquoi l'Italie a-t-elle donné naissance à un genre cinématographique aussi unique et brutal que le western spaghetti ? Selon Alberto Moravia, les cinéastes italiens ont adapté le western à leur culture sans les éléments traditionnels du genre américain. Au lieu de se concentrer sur la lutte solitaire de l'individu contre la nature et la société, les films italiens mettent en avant des personnages de délinquants devenus héros. Cette transformation radicale du genre, axée sur la cupidité et la ruse, contraste avec l'épique du western traditionnel. Cette nouvelle approche a profondément changé le visage du cinéma pour toujours.

Le film "Le Bon, la Brute et le Truand" réalisé par Sergio Leone en 1966. Une scène mémorable se déroule dans le cimetière de Sad Hill. Le cinéma/Pea/Photo12.

Les premiers westerns italiens ont été réalisés en 1963 dans des endroits comme Madrid, Almeria, en Yougoslavie ou à Rome. Bien qu'ils ne soient pas exceptionnels, certains méritent d'être mentionnés selon Alex Cox, car ils ont servi de base pour de futurs films avec des personnages et des histoires similaires. Parmi eux, on peut citer les films de Romero Marchent, Trois Cavaliers noirs et Les Trois Implacables, qui ont inspiré de nombreux westerns ultérieurs où le héros se lance dans une quête de vengeance après que sa famille ait été assassinée. En 1963, Duel au Texas a également marqué les débuts d'Ennio Morricone dans la musique de western sous le pseudonyme de Dan Savio.

En cette même année, Sergio Corbucci, un autre survivant du genre du péplum, réalise son premier western intitulé Massacre au Grand Canyon sous le pseudonyme de Stanley Corbett, avec James Mitchum, le fils de Robert. Selon Alex Cox, le film est considéré comme étant à la fois raté et bâclé mais sincère. Mitchum a hérité de l'apparence de son père mais pas de son talent d'acteur. Comme c'est le cas dans de nombreux westerns ultérieurs, le nombre de décès dans le film atteint des niveaux élevés, notamment lors de la fusillade dans le canyon où les cadavres semblent être en nombre considérable. Malgré ses défauts, Massacre au Grand Canyon réunit plusieurs personnalités importantes du western italien, notamment le directeur de la photographie Enzo Barboni.

Inspirés par l'œuvre de Kurosawa

C'est grâce à Kurosawa que le western italien a pris son envol. En effet, c'est lui qui a incité Sergio Leone à regarder en urgence un film de samouraï, Yojimbo. À ce moment-là, Leone était en train de travailler sur un western temporairement intitulé "L'Étranger magnifique". Après avoir visionné Yojimbo, il a été impressionné par son cynisme et sa violence brutale, jamais représentés de manière aussi crue auparavant. Leone a décidé de faire de ce film le modèle pour son prochain projet, "Pour une poignée de dollars". De son côté, Corbucci a également été inspiré par Yojimbo, sur les conseils de Barboni, alors qu'il travaillait sur son propre western, "Le Justicier du Minnesota". Ainsi, Leone et Corbucci, amis et rivaux, se sont retrouvés en compétition pour réaliser un western inspiré de "Yojimbo", respectivement âgés de 34 et 36 ans.

Dans le film "El Chuncho" (1966) réalisé par Damiano Damiani, Klaus Kinski incarne l'un des rôles principaux. Ce western zapatiste est célèbre pour montrer l'évolution des personnages en révolutionnaires.

Akira Kurosawa a apprécié le film Pour une poignée de dollars de Sergio Leone et lui a écrit pour lui dire qu'il avait réalisé un chef-d'œuvre. Cependant, il a également exprimé son mécontentement car il trouvait que le film était trop similaire à un de ses propres films. En effet, la comparaison des plans des deux films, réalisée par Cox, met en évidence les similitudes entre les deux œuvres, ce qui a conduit Kurosawa à demander des droits d'auteur.

Leone a expliqué que le film Yojimbo lui avait rappelé l'histoire d'Arlequin, le valet de deux maîtres dans une pièce de Goldoni. Il a mentionné que cette histoire devait se transformer en un mythe, avec des éléments de justice, de force et de courage caractéristiques des héros de l'épopée homérique. Il a souligné la transition de l'histoire de Yojimbo du récit classique au western, mettant en parallèle les héros grecs comme Achille, Ajax et Hector avec les héros du western. Cette évolution de l'histoire l'a marqué, passant d'Homère à Goldoni, puis au western.

Leone reconnaît également son inspiration de la commedia dell'arte et des marionnettes du sud de l'Italie, les pupi : « Quand je tournais des westerns, je pensais toujours aux pupi, les marionnettes siciliennes. Je relisais les histoires dont s'inspiraient les bardes siciliens : il y a une connexion particulière entre les pupi et mes amis du Far-West. » (Entretien avec Gilles Lambert, Le Jeu de l'Ouest, Gremtese, 1997). De plus, Leone a été influencé par la lecture de Winnetou, un personnage fictif apache créé par l'auteur allemand Karl May, ainsi que par les westerns muets réalisés par son père Vicenzo, sous le nom de Roberto Roberti. Dans La Vampire indienne (1913), sa mère, Edvige Maria, joue le rôle principal sous le nom de Bice Valeran. Dans le générique de Pour une poignée de dollars, Sergio apparaît sous le pseudonyme transparent de Robertson – « fils de Robert ».

Malgré toutes les explications données et en reconnaissant la réalité des faits, Sergio Leone a finalement décidé de trouver un accord avec Kurosawa pour mettre fin aux poursuites judiciaires. Il a accepté de céder les droits de son film pour le marché japonais, où il a connu un grand succès.

A partir de 1970, le genre du western a été fortement influencé par des éléments comiques et grotesques, notamment avec l'apparition des films de Terence Hill et Bud Spencer. Sergio Leone a également contribué à cette évolution en produisant et en réalisant le film "Mon nom est Personne", dirigé officiellement par Tonino Valerii et avec la participation de Henry Fonda et Ennio Morricone pour la musique.

En particulier, il va commencer puis rattraper de justesse une histoire surprenante impliquant un génie, deux partenaires, une cloche, dirigée par Damiano Damiani, une variation inattendue du film Les Valseuses de Bertrand Blier (avec Terence Hill, Miou-Miou, Robert Charlebois, Klaus Kinski. Musique ? Morricone…). En 1972, Corbucci se met en difficulté avec Mais qu'est-ce que je viens faire au milieu de cette révolution ? avec Vittorio Gassman (Musique ? Morricone…).

Terence Hill et Bud Spencer jouent dans le film "On continue à l'appeler Trinita" réalisé par Enzo Barboni en 1971. Ce western prend une tournure comique.

Ce désastre maritime a eu pour effet paradoxal de libérer les réalisateurs américains qui ont ensuite revisité le mythe de l'Ouest. Des films tels que Le Soldat bleu, La Horde sauvage, Little Big Man, John McCabe, Jeremiah Johnson, La Porte du paradis, Missouri Breaks… n'auraient peut-être pas vu le jour si les Italiens n'avaient pas ouvert la voie en permettant l'expression de la culpabilité américaine. Sam Peckinpah, par exemple, aurait peut-être hésité à montrer autant de violence à l'écran sans l'influence des réalisateurs italiens. Clint Eastwood, Don Siegel, Robert Rodriguez, et même Steven Spielberg admettent tous avoir été influencés par cette nouvelle vague de westerns.

Selon Tarantino, la scène finale du duel entre les trois personnages principaux du film Le Bon, la Brute et le Truand est considérée comme l'une des plus grandes scènes d'action de tous les temps. En tant que grand fan de ce film, Tarantino fait de nombreux clins d'oeil au réalisateur Sergio Leone dans ses propres films comme Pulp Fiction et Reservoir Dogs. Il admire particulièrement les costumes noirs et les cravates du film de Leone, les comparant à des armures pour ses propres personnages de genre. Par exemple, le costume jaune et noir d'Uma Thurman dans Kill Bill suit la même idée. Pour Les Huit Salopards, Tarantino a même demandé à Ennio Morricone de composer la musique. Et lorsqu'il veut un gros plan intense, Tarantino demande souvent à son équipe de réaliser un plan à la manière de Sergio Leone. Cette référence est facilement comprise par tous ceux qui travaillent avec lui.

[Article d'abord mis en ligne le 21 juillet 2023]

Ennio Morricone a été confronté à un succès qui l'a parfois gêné. En 1963, Sergio Leone l'a contacté pour collaborer sur un projet de film western. Malgré ses récents succès avec les bandes originales de Duel au Texas et Mon colt fait la loi, Morricone et Leone se sont rendu compte qu'ils avaient fréquenté la même école primaire dans le quartier du Trastevere. Après avoir partagé un repas chez Il Carettiere, le restaurant appartenant au père d'un ancien camarade de classe, Leone a emmené Morricone voir le film Yojimbo. Même s'il n'a pas apprécié le film, Morricone a compris immédiatement le style musical qu'il devait adopter pour le projet de Leone. Cette collaboration a été marquée par des moments de complicité, mais aussi par des désaccords notables. Leone considérait Morricone comme le meilleur scénariste de ses films, et ce dernier composait ses musiques sans même voir les images du film. Malgré les exigences de Leone, Morricone ajoutait parfois des instruments inhabituels pour créer des sonorités uniques. Morricone déplore parfois que ses musiques pour les westerns aient occulté le reste de son travail, car il est connu en grande partie pour ses compositions dans ce genre de films.

Thierry Gandillot

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