Le festival de Cannes 2024 a mis en avant un cinéma audacieux et bruyant, reflétant une société fragmentée et stressée. Certains réalisateurs semblent vouloir à tout prix attirer l'attention sur leurs films.
Écrit par Adrien Gombeaud
Sans attirer l'attention, Arnaud Desplechin a présenté discrètement à Cannes un essai original et difficile à classer, se situant entre le documentaire et la fiction. Dans son film "Spectateurs", le réalisateur d'"Un conte de Noël" se pose la question de l'impact de la réalité lorsqu'elle est projetée sur un écran. Il la décrit avec poésie en disant qu'elle scintille. Cependant, la plupart des films en compétition lors du 77e festival de Cannes ne brillaient pas. Ils clignotaient.
Au début du film "Motel Destino", un panneau avertissait les spectateurs atteints d'épilepsie de ne pas entrer. Le réalisateur brésilien Karim Aïnouz allait créer une ambiance de boîte de nuit dans la salle de cinéma, avec des lasers clignotants. Pour le meilleur ou pour le pire, la sélection 2024 a favorisé un cinéma bruyant.
Souvent, les films commencent comme une bande-annonce. Dans le film "Kinds of kindness", le réalisateur Yorgos Lanthimos utilise la chanson populaire "Sweet Dreams (are made of this)" d'Eurythmics pour captiver l'attention du public. Gilles Lellouche pousse son acteur François Civil à bout dans le film "L'amour ouf".
Coralie Fargeat et Sean Baker captivent les spectateurs en mettant en avant des fesses féminines dans leurs films "The substance" et "Anora". Cependant, il s'agit ensuite de donner une perspective plus nuancée voire contradictoire sur ces premiers plans. Malgré tout, l'effet est indéniable : dès le début, attirer l'attention par le bas.
Dans les films, les titres seront affichés de manière spectaculaire, comme des banderoles déployées lors d'une manifestation. L'écran changera de taille, se remplira de couleurs vives ou se brisera en morceaux pendant que les personnages subiront des blessures, des ouvertures, des vomissements, des étranglements, des viols… Les intrigues se développeront dans des films très longs, avec des histoires tortueuses, entrelacées de voix off, de flash-back et de chapitres complexes.
Ces histoires intenses semblent refléter la colère de leurs créateurs. Elles pourraient être influencées par le désordre de l'époque actuelle. Le festival de Cannes 2024 a été à la fois brutal et politique. Dans son film, Ali Abbasi explore la jeunesse de Donald Trump dans « The Apprentice », Kirill Serebrennikov raconte l'histoire de l'écrivain russe Limonov qui a fondé un petit parti fasciste, et « Caught by the tides » de Jia Zhang-ke retrace vingt ans d'histoire de la Chine depuis son entrée à l'OMC jusqu'à la pandémie de Covid-19.
Ces formes étranges et exagérées peuvent refléter les effets d'un monde saturé d'images où l'attention est constamment sollicitée. Il est possible que les créateurs cherchent à se démarquer et à attirer l'attention au milieu de cette abondance visuelle.
Face à la confusion actuelle, beaucoup ressentent le besoin de se reconnecter avec des récits anciens et intemporels, à savoir les grands mythes. Le film audacieux « Megalopolis » de Francis Ford Coppola revisite, dans un futur indéterminé, la lutte entre Catilina et Cicéron qui a bouleversé la République romaine au premier siècle avant J-C. De son côté, Paolo Sorrentino propose une nouvelle interprétation de l'histoire de la sirène de l'antiquité grecque devenue emblématique de la ville de Naples à travers son film « Parthenope », mettant en scène une femme du XXe siècle. En dehors de la compétition, George Miller continue à construire une mythologie moderne dans le désert australien avec son film « Furiosa ».
Comme le personnage de guerrière esclave interprété par Anya Taylor Joy, la plupart des principaux personnages de l'édition étaient des femmes… et captives.
Dans les films "Bird" d'Andrea Arnold, "Diamant Brut" d'Agathe Riedinger, "La jeune femme à l'aiguille" de Magnus von Horn et "Anora", les personnages principaux cherchent à échapper à la pauvreté. Dans "All we imagine as light" de Payal Kapadia, c'est la ville étouffante de Bombay qu'ils tentent de fuir. Dans "The substance", certains se cherchent en s'injectant un sérum dangereux, tandis que dans "Emilia Perez" de Jacques Audiard, d'autres choisissent de changer de sexe et d'identité pour disparaître.
Qui d'autre que le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof, qui est lui-même en fuite, pourrait représenter de manière aussi authentique la folie et les incertitudes de notre époque ? Malgré sa condamnation à la prison et à la flagellation en Iran, Rasoulof a réussi à livrer le film le plus fluide, le plus compréhensible et le plus maîtrisé de la compétition.
Le roman "Les graines du figuier sauvage" raconte comment une famille à Téhéran se déchire pendant une répression violente contre la jeunesse. Le père, juge d'instruction, s'oppose à ses filles qui voient leurs amies être arrêtées et torturées. Bientôt, la turbulence des manifestations de rue va atteindre leur domicile. L'auteur du livre "Le Diable n'existe pas" est arrivé à Cannes à la fin du festival. Après trois semaines de voyage vers l'Allemagne, où il a obtenu l'asile politique, il se trouvait sur la Croisette. Discrètement, il avait encadré dans un coin du décor de son film ces quatre mots : "Ne jamais, jamais abandonner".
Le classement du magazine Echos Week End
(Jury composé d'Olivier De Bruyn et Adrien Gombeaud)
Premier prix : « Les semences du figuier sauvage » de Mohammad Rasoulof
Prix principal : Le film "Caught by the tides" réalisé par Jia Zhang-ke a remporté le grand prix.
Récompense décernée par le jury : Le film "All we imagine as light" réalisé par Payal Kapadia
Récompense pour la mise en scène : Jacques Audiard a été primé pour son travail sur le film "Emilia Perez" et Kirill Serebrennikov pour "Limonov – The Ballad".
Récompense du meilleur scénario attribuée à Paolo Sorrentino pour son travail sur le film intitulé « Parthenope ».
Récompense pour la meilleure performance masculine : Sebastian Stan et Jeremy Strong dans le film "The Apprentice" réalisé par Ali Abbasi.
Récompense pour la meilleure performance féminine : Mikey Madison pour son rôle dans le film « Anora » réalisé par Sean Baker.
Adrien Gombeaud
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