Paris Photo : la photographie à son état le plus basique
Ces individuals sont des photographes et… se débarrassent de l'appareil de prise de vue. C'est une manière de revenir aux instruments d'origine tels que la chimie et la lumière. La tendance de la "slow photography" est de plus en plus présente dans les allées de Paris Photo, qui débutera le 10 novembre, et sera mise en avant à la BnF. Analyse d'un phénomène.
Par Michèle Warnet
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Elle représente la réalité en enregistrant chaque petit geste et déplacement que nous faisons depuis près de deux siècles. La photographie a changé notre façon de voir le monde. À une époque où des milliards de photos sont prises et partagées chaque jour, une nouvelle tendance émerge. Il s'agit d'un retour aux sources, sans appareil, où la photographie expérimentale est pratiquée de manière littérale – la photographie signifiant, en grec ancien, « écrire avec la lumière ».
Héloïse Conésa, conservatrice au département des Estampes et de la Photographie de la BnF et commissaire de l'exposition « Epreuves de la matière », met en avant le processus de création de la photographie sans appareil, utilisant uniquement l'ombre et la lumière. Cette exposition, qui explore les évolutions de la photographie contemporaine, est présentée jusqu'au 4 février à la bibliothèque François-Mitterrand, à Paris.
Meghann Riepenhoff utilise les cyanotypes pour capturer et travailler avec le paysage, comme on peut le voir dans son œuvre "Ice #32" réalisée en 2020. Cette artiste collabore avec la galerie Yossi Milo à New York.
Au début, Nicéphore Niépce a réussi à capturer une image en laissant entrer de la lumière dans une boîte dont le fond était enduit d'une substance sensible à la lumière. Cela s'appelle une caméra obscura, et il a pris la première photographie du monde en 1826. De son côté, le Britannique William Henry Fox Talbot a expérimenté dès 1834 la technique de placer des objets sur un papier sensible à la chimie, qui conserve ensuite leurs contours en négatif lorsqu'il est exposé à la lumière. Il appelait cela un photogramme, ou dessin photogénique. Cette technique a été reprise à l'époque par la botaniste Anna Atkins pour créer des herbiers réalistes dans une version chimique ferreuse de couleur bleu de prusse, appelée le cyanotype. Aujourd'hui, cette technique et ce naturalisme ont une héritière en la personne de l'Américaine Meghann Riepenhoff, qui plonge de grands papiers dans l'océan pour capturer des empreintes aquatiques bleutées fascinantes.
Selon Héloïse Conésa, le photogramme, qui est une technique primitive de photographie, est souvent utilisé lors des moments clés de l'évolution de la perception de la photographie. Il a fait un retour pendant les mouvements artistiques des années 1920 et des années 1980, lorsque la photographie a commencé à être exposée dans les musées. Aujourd'hui, les artistes redécouvrent cette technique afin de se positionner par rapport à l'utilisation du numérique.
Selon le photographe Baptiste Rabichon, le photogramme est l'outil d'image le plus moderne qui existe actuellement. Il le décrit comme à la fois spectral et d'une netteté incomparable. Dans sa série intitulée "Blue screen of death", Rabichon utilise un smartphone allumé posé sur du papier pour créer l'empreinte des objets qui l'entourent. Cette démarche rappelle celle de Man Ray, qui était un maître des rayogrammes au siècle dernier. Baptiste Rabichon est actuellement présenté par la galerie Binome à Paris Photo, et ses œuvres sont exposées au Musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône jusqu'au 21 janvier.
Une nouvelle tendance venue de l'étranger
Miranda Salt, une galeriste parisienne d'origine australienne, a remarqué l'émergence de cette photographie archaïque et expérimentale il y a près de vingt ans de l'autre côté de l'Atlantique. À l'ère numérique, les artistes ont réalisé qu'il y avait encore des terrains à explorer dans le domaine du laboratoire. L'exposition « Lights, Paper, Process ; Reinventing Photography » en 2015 au musée Getty de New York a été un moment décisif qui a fait prendre conscience de ce mouvement de fond. Elle a ouvert le marché alors qu'en France, la photographie documentaire et humaniste domine encore largement.
Chuck Kelton, un photographe renommé basé à New York, utilise du papier photosensible pour créer des œuvres abstraites qui évoquent parfois des paysages. Cette œuvre, intitulée "Resist #110" et réalisée en 2018, fait partie de sa collection présentée à la Galerie Miranda.
Elle vient de terminer une exposition avec Chuck Kelton, considéré comme le meilleur photographe argentique à New York. Il a développé son propre style depuis 30 ans, qualifiant son travail de "calligraphie chimique". En utilisant différentes techniques chimiques et parfois en pliant les papiers photosensibles, il crée des paysages abstraits qui rappellent les ciels de Turner ou les encres de Victor Hugo.
Ellen Carey, une artiste contemporaine, a créé la série Zerogram en 2018. Les œuvres de
Ellen Carey, une autre artiste présente à l'exposition de la BnF, utilise une technique particulière en froissant du papier photographique en chambre noire. Elle expose ensuite ce papier sous différentes lumières colorées et à différents angles. Bien que les deux techniques soient similaires, les résultats obtenus sont totalement différents. L'un est empreint de dramatisme, tandis que l'autre est plutôt pop. Cette approche créative permet d'explorer un champ étendu et l'abstraction qui en découle, grâce aux techniques chimiques, physiques et manuelles utilisées, éloigne la photographie de sa réalité habituelle et de son identité.
Emilia Genuardi, la fondatrice du salon Approche, souhaite abolir la frontière entre le monde de la photographie et celui de l'art contemporain. Selon elle, en rapprochant ces deux univers, on obtient une scène artistique à part entière. Cette jeune foire, qui se tient en même temps que Paris Photo, présente les travaux de 15 artistes en solo shows. L'expérimentation est le fil conducteur de ces expositions. Par exemple, on peut y découvrir le travail scientifique de Laure Winants, une photographe et chercheuse qui a entrepris une expédition dans l'Arctique. Elle révèle la chimie colorée du permafrost en le plaçant dans l'agrandisseur.
Dans son œuvre intitulée "Et pendant ce temps le soleil tourne, S13-1" créée en 2021, Thomas Paquet met en avant une approche de la photographie qu'il qualifie de "slow photography". Ses principales préoccupations artistiques sont la lumière, l'espace et le temps.
Dans cette exposition intitulée "La Chambre noire", Thomas Paquet, le lauréat de 2023, présente les résultats de sa résidence Picto Lab/Expérimenter l'image. On peut également le retrouver parmi les artistes exposés à la BnF, avec une œuvre transparente qui rappelle l'esprit de Malevitch ou de Fontana. Cette œuvre a été réalisée avec un sténopé, une boîte rudimentaire perforée qui enregistre la trajectoire du soleil sur du papier photosensible à l'intérieur. Les traces colorées en forme de virgules sont révélées par oxydation sur du papier noir et blanc. Cette "slow photography", guidée par le désir de sortir des contraintes imposées par les appareils photo et de travailler avec des moyens limités pour créer une sensation de flottement et de poésie, est décrite par l'artiste lui-même.
Dans la série "Echo #1" de 2019-21, Mustapha Azeroual utilise la technique de la gomme bichromatée pour créer son œuvre intitulée "Monade #42". Cette approche artistique lui permet de se distancer de l'utilisation traditionnelle de l'appareil photographique. L'image est reproduite avec l'aimable autorisation de la Galerie Binome.
Ces méthodes anciennes de la photographie ont l'avantage d'être artistiques et de produire des exemplaires uniques. Cela attire l'attention de certains collectionneurs ainsi que des photographes plasticiens. "Mes créations n'existent que devant nous", confirme Mustapha Azeroual, qui utilise la technique de la gomme bichromatée.
Pour chaque couche appliquée, séchée et rinçée, une teinte est ajoutée. Chaque teinte nécessite une journée entière de travail. Il lui faut environ dix jours pour terminer une de ses œuvres. Il avoue avoir de plus en plus l'impression d'être un artiste peintre plutôt qu'un photographe. Il utilise la couleur pour créer des sensations, mais il les crée avec quelque chose d'invisible : la lumière.
Cette redécouverte de l'essence de la photographie permet également de renouer avec le geste. Selon Michel Poivert, historien de la photographie et commissaire d'exposition, nous sommes actuellement dans une période de régénération de l'art de la photographie, qui s'intéresse à ses savoir-faire. Nous renouons avec la matérialité et la beauté de la photographie. Tout cela fait partie d'une société qui a besoin de se reconnecter avec les choses et de reprendre le contrôle de l'image. Lorsque la photographie est apparue, elle a permis à la peinture de ne plus être simplement une illustration. Alors que les smartphones et les réseaux sociaux s'occupent désormais de capturer la réalité, la photographie, elle, a parfois la liberté de s'en détacher.
Laure Winants, dans son œuvre intitulée "Words From A Tongue We Are Losing" datant de 2023, se présente comme une artiste-chercheuse qui s'engage à rendre perceptible ce qui est invisible.
Une personne du nom de Michèle
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